Holy Shit (2005), noyade entre deux ports

Je n’aurais pas connu Holy Shit  sans l’interview donnée par Matt Fishbeck à Victor Thimonier dans Mushroom, fanzine unique créé par 26 journalistes dissidents de Magic, sorti en décembre dernier. Le nom sonne vaguement familier à l’oreille mais va savoir si c’est dû à sa sale ressemblance avec HollySiz ou parce que ça m’évoquait à l’époque un sombre et turgescent projet à la The Klaxons. Alors que bon, pas du tout. Même si l’interview est chouette, ainsi que sa posture de branleur magnifique, c’est surtout les propos introductifs du journaliste qui ont provoqué le déclic du type « ah putain ça c’est pour moi ». Une histoire de disque qui changent ta vie à 19 ans et d’un talent classieux pour les pop songs qui vient sertir les extravagances d’Ariel Pink.


Oui, parce que j’ai dit une connerie, le premier truc qui retient l’attention, c’est surtout que Holy Shit, au moment de la sortie du premier album, Stranded At Two Harbours en 2005, c’était Fishbeck ET Ariel Pink. Apparemment ça n’a pas duré et, contrairement au second, Fishbeck est resté dans un anonymat assez total. Son deuxième album est sorti en 2017 de façon tout à fait discrète (par une maison d’édition, quelle idée aussi) (bon, qui publiait Baudrillard). Voilà donc pour le gus. Venons-en à son disque, le fameux life-changer.


C’est le genre d’album dans lequel on s’immerge ras la frange, on ouvre les yeux, découvrant qu’on peut respirer sous l’eau et on part à l’exploration d’un écosystème à la fois éclatant de nouveauté et plein d’organismes familiers. Forcément, la patte pinkienne ne passe pas inaperçue, et puis lové dans la voix tartinée d’effets du Matt, mon petit cœur assoiffé d’indie pop se sent compris et revigoré. Sur les chemins de ce labyrinthe lo-fi et cotonneux, on passe par des plages marmonantes où guitare et harmonica, enroulés dans un peignoir de reverb’, divaguent dans une nonchalance toute psychédélique. On a beau tendre à la réécoute, les orientations mélodiques restent évanescentes et s’impriment mal sur la rétine de nos tympans. Du coup, chaque immersion fait l’effet d’une nouvelle bouffée dont on cherche à distinguer les arômes.

Et en travers de ces tranchées languissantes, jaillissent des espèces de tubes absolus, qui laissent toute étourdie. Written All Over Your Face, putain. Plus propre que le reste, imparable, chavirante. A partir de 2’52, donne envie de s’adonner au bureau à la petite danse de Romain Duris sur Cambodia. Cette chanson semble bourrée d’histoires, de peines et de souvenirs qui ne sont pas les nôtres. C’est comme être triste pour quelqu’un qu’on aime beaucoup.

Et puis tu navigues, toutes les décennies du rock sont convoquées à un moment ou à un autre. Des vapeurs 80’s s’enroulent sur des fleuves façon library music. Des comptines aspirées de 1967 montrent Fishbeck goguenard chanter son impénétrabilité. « Go ahead, write my whole life story. Sell it to my mother for a good read. I’m sure she’d love to know ».


Qu’est-ce qu’un mec comme ça a pu bien foutre pendant 11 ans ? L’interview n’y répond pas vraiment. Et quand on entend You Made My Dreams Come True, le single qu’il a sorti quelque part en 2012, quand le « Oh you » du refrain vient appuyer à un endroit bizarre derrière le plexus solaire, on serre les dents et on savoure la rareté.

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