Bouchées vapeur #2 – The Growlers, La Féline, The Luxembourg Signal, Thousand

Trois éléments prennent de plus en plus de place dans mes écoutes en ce moment : les voix féminines, la synth-pop et la chanson française. Dieu sait que je n’aurais pas cru écrire ça un jour. Concrètement, il ne s’agit plus uniquement de replonger dans de vieux morceaux de Brigitte Fontaine ou de Benjamin Biolay, mais de tâter sérieusement à de la nouveauté. Preuve du changement, la première pensée qui est venue à l’écoute de l’album de Thousand fut : ah putain c’est exactement ce dont j’avais besoin. Il y aura donc de la pop synthétique et francophone – mais pas que – dans ce deuxième assortiment des chansons qu’on fait miroiter sans s’en lasser.

The Growlers – Beach Rats (Hung at Heart, 2013)
Commençons je vous prie par un morceau qui ne correspond en rien à l’introduction ci-dessus. A l’écoute d’un disque, il arrive qu’un titre passe au travers de l’attention. Et puis c’est bien après, en retombant dessus, qu’on se demande comment il avait pu nous échapper. Beach Rats est de ceux-là, niché en fin de tracklist, plus doux et délié que les tubes habituels des Growlers, dont l’esprit doux-amer s’accorde généralement à une énergie désabusée et rigolarde, en concentration forte. Si la vidéo de One Million Lovers, qui capture le même moment, atteint un certain niveau de perfection, c’est bien celle de Beach Rats qui m’obsède. Dans cette presque-balade, le soleil californien brille toujours effrontément et le réveil de 15h30 écorche le crâne. Au sortir d’une méchante gueule de bois, les ruines de la veille portent un regard réprobateur sur ce qu’on fout de nos vies. La nonchalance perdure mais teinte la descente d’un éclat de lucidité. La basse chaloupe et la guitare s’attache à traduire le dessin des rayons sur la crête des vagues. C’est peut-être lorsqu’ils qu’ils chantent la drogue qui les éloigne des plaisirs simples de l’océan que les Growlers sont les plus touchants.

La Féline – Séparés (Si Nous Etions Jamais) (Triomphe, 2016)
Avec La Féline, on est un peu plus loin de ce qui me plait d’habitude. J’ai peu écouté l’album dont il est extrait, mais à sa sortie ce morceau m’avait tuée et le premier visionnage du clip, collé les larmes aux yeux. Et j’y suis revenue récemment. Plus minimaliste que ce que produit d’habitude le duo As Human Pattern, le plan fixe sur Agnès Gayraud, qui passe par mille états, lui confère une aura troublante d’où jailli fierté, douleur, émoi. La progression du morceau est bouleversante. Il y a quelque chose de Mylène Farmer (ouais, dans le bon sens du terme) dans ses envolées. L’intensité grimpe jusqu’à une déflagration où la pureté du chant crève la voûte mélodique comme un orage d’été. Et quand son regard est au plus noir et au plus doux, la tendresse retombe en pluie.

The Luxembourg Signal – Laura Palmer (Blue Field, 2017)
De cet album, aucun morceau ne ressort. C’est au contraire l’écoute intégrale qui fonctionne. Mais libre à moi de ne pas respecter mes propres règles et d’en glisser un ici quand même. On est dans le cas d’un disque qui paraît assez classique au premier abord, et qui pourtant se révèle complètement addictif. Si je n’étais pas en surdose de dream-pop shoegazante, le relatif manque d’originalité ne m’aurait probablement pas choquée. Ça provoque la juste dose de transport, met immédiatement la tête dans les nuages et s’écoute très bien en marchant dans la rue (c’est mon obsession, oui), ce qui est toujours bon signe. En termes d’influences, Slowdive et Beach House arrivent en tête, mais la voix de Betsy Moyer convoque aussi Alvvays ou Sambassadeur. Ça pourrait très bien être suédois, mais c’est anglais, et si ça sent aussi l’héritage Sarah Record, c’est parce il y a à l’intérieur des gens d’Aberdeen et de Trembling Blue Stars.

Thousand – La Vie De Mes Sœurs (Le Tunnel Végétal, 2018)
Depuis la sorti du disque en mars, Stéphane Milochevitch est régulièrement comparé à Bashung. J’ai peut-être fumé de la laine vierge mais c’est plutôt à L.O.A.S que son chant un peu rauque, un peu parlé, me fait vaguement penser. Cet album est une bombe. Autant en anglais (l’album d’avant), j’étais moyennement cliente, autant là je retrouve tout ce qui m’avait fait aduler Narval – dont la nouvelle version m’a d’abord un peu déboussolée. Il va falloir un peu de temps pour en absorber l’entièreté. Pour l’instant, celle qui émerge comme une péninsule, c’est La Vie De Mes Sœurs. La chanteuse qui l’accompagne, Emma Broughton, compte pour beaucoup dans l’amertume sublime qui colore le morceau (cf. 2’19). Dans ses aquarelles de synthés, on nage entre la mélancolie yéyé et la chaleur d’un chant qui se glisse naturellement dans la zone grise d’aujourd’hui entre le rap et la chanson. Ode bubble-gum aux chagrins d’amour dans le RER, ce morceau c’est l’adolescence écarquillée, France Gall au vocoder, un romantisme de pétales et de bitume. « Toi et moi et la mort ». Ça fait mal et ça console à la fois.

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