J’ai perdu l’habitude d’écouter de la musique fort. C’est comme danser, faire la fête, écouter de la techno. Ça me paraît figé dans un passé mis sous cloche, pourtant pas si lointain. L’album/mixtape de Oklou me ramène à maintenant, 2020, paré d’une aura de bourgeon qui pousse dans le terreau de l’apocalypse. Je l’écoute beaucoup, Galore, ce premier long format de Marylou Mayniel. Dans la salle de bain, dans la cuisine, sur des canapés. C’est un album qui s’écoute très fort et qui ranime des muscles endormis. Comme les grandes réussites, il te chope dès la première écoute et dure dans le temps, long en bouche.
Il y a un minimalisme très assumé chez Oklou. Des mélodies de synthé et de guitare que la production a rendu scintillantes jouent le rôle de supports matelassés, à la fois moelleux et métalliques, fourrure pastel et gerbe d’essence. A cette forme de simplicité s’ajoute la courte durée des morceaux, qui frustre un peu mais empêche le sentiment d’un résultat trop léché. On est sur le terrain du RnB et pour autant l’irrigation semble venir de toute part. L’univers à la fois organique et futuriste, sa voix haute et liquoreuse, et l’immédiateté des tracks m’ont d’abord fait penser à Grimes. Quelques bribes rappellent Soko aussi, dans sa façon de murmurer en ayant l’air vénère, les sourcils froncés.
Galore semble s’approprier les courants de la musique pop de l’époque. Je n’en ai pas une culture extensive – à force d’écouter des trucs planqués – donc je dis ça avec précaution. Tel que je le perçois, l’album louvoie et emprunte à la toute-puissance du rap, aux chants de princesse pop et au règne des rythmiques syncopées de la bass music, pour en faire quelque chose qui se classe ailleurs. Ce n’est pas de la musique qui reste en tête, dont le squelette serait tellement appuyé qu’il s’imprimerait dans la cervelle jusqu’à rendre fou (ce qui est je trouve caractéristique des succès mainstream actuels) (sauf quand on écoute Unearth Me huit fois de suite). Mais on y revient comme des assoiffé.es. L’ensemble est emprunt de douceur et d’une dimension émotionnelle très forte, qui donne à chaque titre une essence obsédante. De même que l’autotune fait des incursions modulées, la voix, la mélodie et le kick semblent intervertir leur place et occuper consécutivement l’espace. Il y a dans son travail une façon de faire bouger les éléments entre l’avant et l’arrière-plan qui est fondamentalement originale.
De Galore, Unearth Me est le tube absolu. Reptilienne et rampante, la mélodie ondule entre un kick lent et sourd. Sa voix mute au gré des couleurs, à cloche-pied sur un arc-en-ciel holographique, pendant que la pulsation se cabre et explose dans un ondoiement farouche. Pourtant il n’y a aucune vitesse dans ce morceau, le tempo est ramassé, la puissance contenue. Mais il jailli comme une fulgurance, un truc qui embroche le corps, t’électrise la peau et te colle des patates dans les tempes.
Pour moi, ça dit quelque chose de maintenant. De la hargne, de la résistance, de la solitude féminine, du monde qui part en couilles et du besoin de se rattacher à quelques notes resplendissantes.