DJ sets, randonnée et albums écoutés

Récemment, j’ai passé des vacances aussi intenses et mobiles que ces derniers mois ont été statiques. Vu les capacités sociales atrophiées qu’on se traine, j’ai parfois eu l’impression d’être attachée sur un petit wagonnet de grand 8 sans l’avoir tellement choisi. Mais si le stress était de la partie, c’est parce que cette période a eu la particularité de cumuler plusieurs trucs qui me font peur : conduire une voiture, marcher en montagne et mixer de la musique.

La conduite, je ne vais pas m’y arrêter, il n’y a aucune ambiguïté là-dedans, ça me terrorise. J’ai juste le souvenir désagréable du moment où j’ai commencé à transpirer au feu rouge d’une petite route des Cévennes parce qu’il y avait 0,003% de pente et que j’avais peur de taper la voiture de derrière en foirant mon démarrage. Ma peur de la conduite ne contient aucune ambivalence et donc aucun intérêt.

Par contre, ce que l’anxiété fait aux expériences qui nous attirent, ça m’interroge. Comment est-ce qu’on gère la conjonction de la peur et de l’envie ? Il n’y a rien que je déteste plus que le sentiment d’angoisse. Le stress ou l’inquiétude à un niveau ordinaire, ça se gère. Mais la tâche poisseuse de la panique larvée, c’est le pire truc du monde. Forcément qu’on évite les situations qui la font naitre. Comment se confronter à un truc que notre cerveau nous crie d’éviter ?

Faire des DJ sets et randonner en montagne provoquent chez moi le même mélange de désir, de grande joie et de sueurs réfrigérantes. Quand je marche, j’ai davantage peur en montée qu’en descente. Quand il faut s’accrocher à la roche avec les mains, parce que le chemin est trop raide, qu’on sent qu’il ne ferait vraiment pas bon dévaler la pente, qu’un sac à dos pesant modifie le centre de gravité du corps et fragilise les appuis. Le pire étant les chemins de crête et les passages « aériens ». Même sans avoir le vertige, si un sentier borde un morceau de vide, l’angoisse me ruisselle dans le dos.

Du coup, sans impulsion extérieure, je ne vais pas haut. Les arbres poussent jusqu’à 2000-2500 mètres d’altitude, à partir de là, on passe du niveau subalpin au niveau alpin et il n’y a plus d’arbres. Cette limite s’appelle « zone de combat ». (A qui tu le dis.) En dessous, on reste dans la forêt, on ne voit plus le ciel, on perd toute profondeur de vision. Zone enneigée la plupart du temps, la période pour marcher tranquillement à cette altitude correspond à la saison chaude. La fenêtre est serrée et mon système parasympathique se charge de faire le reste, c’est-à-dire rien du tout. J’ai envie depuis longtemps de grimper les sommets du Parmelan et de la Tournette, dans le coin d’Annecy. Mais je suis incapable d’en avoir l’initiative. Si je prévois une rando, je veille à ce qu’elle ne me fasse pas peur. Donc, plus ou moins inconsciemment, je reste en forêt, et la montagne me manque.

Je n’arrive pas à m’en satisfaire. Mes souvenirs de randonnée les plus vivaces sont souvent ceux où j’ai été le plus secouée, comme si l’émotion m’avait imprimé ces expériences sous la peau. Je ne suis pas partisane de se faire du mal, de se mettre dans des situations impossibles, ou même de rester dans l’inconfort. Mais quand on aime sincèrement ce qui nous fait peur, ça fait un nœud. Ce ne sont pas des expériences dont j’ai envie de me passer.

Les DJ sets, c’est pareil. Le parallèle avec la randonnée ne saute peut-être aux yeux, mais émotionnellement chez moi, ça se répond. Récemment j’ai été invité dans un festival – pour mixer ! un set entier ! pour faire danser des gens ! Rendez-vous compte.

Il faut savoir que mon background de DJ, c’est une poignée de soirées dans des bars, durant lesquelles la personne derrière les platines fait confortablement tapisserie. Je découvre à peine toutes les normes, les hiérarchies et les conflits de légitimité qui existent dans ce milieu (ça me hérisse autant que ça m’intéresse – mais c’est un autre sujet). Il faut en tout cas être plutôt sûr·e de soi pour faire ça avec aisance. Ce qui n’est bien évidemment pas mon cas.

Malgré la nette impression que cette invitation s’était gourée de destinataire, j’ai tout misé sur mon inner mediocre white man et j’y suis allée. C’était fou et terrifiant et génial et épuisant. Mais quelques semaines après, quand on me montre sur Youtube le set d’un duo au festival Dekmantel, je suis à l’exacte croisée de deux pensées :  ça a l’air super chouette et ils doivent bien s’amuser, et : pour rien au monde je n’ai envie d’être à leur place.

Il paraît que c’est comme la conduite, à force de pratique, le stress s’estompe. Moi je ne suis pas sûre que cette appréhension me quitte complètement un jour. Il doit y avoir un parallèle avec l’émotion des pratiques scéniques, que vivent les musicien·nes, comédien·nes, ou même les personnes qui parlent souvent en public. Il y a une différence je pense entre la difficulté à oser produire et à montrer ce qu’on fait (écrire, composer, dessiner) et le stress de la performance, du moment juste, de tous les paramètres qui vont déterminer un instant en particulier.

De façon générale, c’est une dimension récurrente des questionnements sur la créativité que de réussir à gérer la peur. Il semblerait qu’il faille accepter la présence constante de cette coloration. Elizabeth Gilbert dans Big Magic écrit un passage là-dessus, qui se résume à un conseil : autoriser la peur à être du voyage sans la laisser pour autant prendre de décisions. C’est plutôt rassurant de savoir que ça touche à peu près tout le monde.

J’avais du mal à finir cet article sans exposer la moindre amorce de solution ou d’idée à laquelle se raccrocher. Pour les DJ sets, je sais que les soirées qui se transforment en B2B géant sont super pour dédramatiser l’acte. Et pour la randonnée, l’issue potentielle m’est venue à retardement. C’est sûr que je ne suis pas prête à faire la haute route des Alpes ou des Pyrénées en autonomie pendant 15 jours. Mais je peux morceler la difficulté. Avec ma copine Mélanie, on a fait une rando de deux jours avec un bivouac (elle en a même tiré un fantastique épisode de podcast). Planter la tente entre filles, c’était une première pour moi, qui a été facilitée par le fait de bien connaître le coin. Dans cette logique, j’aimerais bien par la suite déconnecter l’itinérance de la haute montagne : passer quelques jours dans un village d’altitude, en dormant au même endroit mais en explorant tous les sentiers alentour. Va savoir pourquoi je n’ai jamais pensé à faire ça. Ça me paraît tout à fait à ma portée. Tant que je n’ai pas à conduire jusque là-bas.

Trois albums très écoutés

Juan Wauters – Real Life Situations (2021)

Si Juan Wauters est un mec de l’indie-rock, il y a un vrai côté hip-hop, à la Stones Throw, dans cet album absolument génial qu’est Real Life Situations. Ce n’est pas évident de saisir exactement où ça se loge, probablement dans le travail de collage, les samples de voix et la basse rondouillarde. C’est vraiment chouette de sa part d’allier cette dimension à une sensibilité pleinement acoustique. (Il y aurait eu des synthés dans ce disque, ça aurait été super dommage.) Entre un chant en anglais et en espagnol, des pastilles de récit et des discours militants, le disque est bavard. Il est aussi profondément solaire et léger, et donne envie de savourer un petit air frais d’été en descendant une rue pleine d’automobilistes énervés. Je l’ai découvert au printemps après avoir reçu une première dose inattendue et changé tous les meubles de place chez moi. Ça pourrait n’avoir rien à voir si ça ne marquait pas un tournant plus respirable. C’était le genre de découverte dont on ne savait pas qu’on avait tant besoin. (Merci Boris.)

Francis Lung – Miracle (2021)

Avec Francis Lung, on est dans l’indie-rock classique, avec des orchestrations luxuriantes, presque baroques. Chaque morceau est très beau, léché et sensible, certains sont très caressants. C’est un disque qui se range dans la liste de ceux que tu lances avec plaisir en sortant de chez toi (c’est une catégorie à part et importante : ce qui est doux ou sombre ne fonctionne pas, il faut que ça donne un minimum d’allant). Dans Miracle, il y a la palette d’émotions introspectives et bougonneuses de l’indie-pop, mais on trouve chez Lung un petit côté fêtard triste que j’aime bien. Il n’y a que l’artwork qui me déplaît, mais c’est clairement du délit de faciès. Ah et c’est le mec de Wu Lyf, ok je découvre.

Postcards – Postcards (2008)

En fait ces trois albums sont très cohérents. Ils ont un côté moody mais lumineux qui résume ce que j’aime tellement dans la pop. Un aspect assez sentimental pour être écouté dans le train les yeux perdus au-delà la vitre mais suffisamment entrainant pour gonfler le corps d’espoir et d’envies. Premier album de ceux qui deviendront Chevalier Avant Garde (merci Jérôme !), cet album de Postcards est absolument magnifique. Toutes les premières écoutes me laissaient une impression d’ébahissement comme seules les œuvres de grande ampleur procurent. Bon, là non plus je n’aime pas l’artwork. Mais c’est parce qu’il est méga trompeur ! Il fait croire à du shoegaze neurasthénique alors que ça pourrait très bien être californien ! Il y a d’ailleurs un côté The Growlers dans la nonchalance, le chant un peu érotique et les guitares métalliques – écoutez I Died vous verrez. Je me trouve à manquer de mots pour dire tout ce qui me plait chez Postcards, donc autant conclure cet article déjà interminable. L’important c’est que tous les fans de Cherry Red, Creation ou plus près de nous, Buddy Records et Howlin Banana doivent s’y précipiter.

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