
J’ai lu récemment un fanzine de Léa Jacta Est. Après une plombe à fouiller les étagères de la Librairie Sans Titre histoire de sauver une journée pourrie, je suis tombée sur ce petit carnet bleu et j’ai bien fait de l’emporter. L’un des trucs qui m’a plu, c’est que l’artiste est musicienne et qu’elle écrit sur la musique depuis cette position, en fondant son propos sur son expérience personnelle. Elle décrit par exemple son rapport ambivalent à la scène, en retraçant les sentiments que font naitre le fait de se produire en concert (aimer ça sans être complètement sûre d’aimer ça). C’est rare, je trouve.
Mais surtout, ce zine prend pour objet *les chansons cathartiques*. Elle interroge plusieurs artistes et acteur·ices de la musique sur la question (Bleu Reine, Johannes Bourdon, Frédéric D. Oberland, Alice Butterlin) et fait figurer leur top 5 des morceaux qui leur ravagent le cœur. Évidemment, ça donne très envie de faire pareil, et de lire d’autres listes, d’autres gens.
Elle suggère au fil des textes les sens variés que peut prendre la notion. La consigne qu’elle a donnée aux interviewé·es : « une chanson qui exprime un sentiment profond de la part de son auteur ». Cette définition m’a interrogée et je crois avoir un avis un peu différent. Pour moi, la question de la catharsis en musique a davantage à voir avec la réception de la personne qui écoute que l’intention de celle qui l’a conçue. Ma propre définition d’une chanson cathartique, c’est une chanson dont on ressort différent·e de lorsqu’on y est entré·e. Un élément a été transformé dans le processus, on ne sait pas trop si on a perdu ou si on a gagné quelque chose, mais on n’est pas exactement pareil. On y a laissé un petit morceau de nous et on y a peut-être gagné « le sentiment profond » qu’y a mis l’auteur.
En conséquence, lorsqu’on réécoute ce qui constitue notre panthéon personnel des chansons cathartiques, on ne sait pas ce qui va se produire. Il faut l’avoir en tête : ça peut être un profond soulagement, une pointe coupante de nostalgie ou une nausée nébuleuse. Ça peut faire l’effet d’une douche chaude, d’un coup de poing ou d’une craie sur un tableau noir. Impossible à prévoir. C’est aussi le sens littéral de ce qui est cathartique : ce qui purifie, ce qui trie le bon du mauvais. On ne choisit pas ce qui remontre. Ce substrat, que l’on re-ressens et que l’on assimile, c’est le principe même de la catharsis. « Remémoration affective », dit-on en psychanalyse. Forcément, ça ne fait pas que du bien.
Par exemple, en préparant cette playlist, je n’ai pas réécouté Could’ve Move Mountains. C’est l’un des morceaux les plus puissants et bouleversant que je connaisse. Si j’y passe, c’est un coup à fixer le vide pendant 40 minutes. Si je réécoute toute cette liste d’un coup, je n’ai plus qu’à aller me coucher en position latérale de sécurité. C’est en cela que ces chansons sont cathartiques : elles nous emmènent et nous recrachent alors qu’il ne reste plus grand-chose de nous.
Elles sont des pierres précieuses, des joyaux presque dangereux, qui enferment des morceaux d’histoire, des éclats encapsulés, qui contiennent l’existence même. Mais leur pouvoir tient aussi à leur fragilité : on ne sait pas si elles prodigueront toujours ces émotions, si, toute la vie, on pourra les saisir comme des flacons dans une envie d’ivresse. Peut-on les user à trop les écouter ?
Voici donc le top 10 de mes propres chansons cathartiques.
