Domestic DJs ou l’art de la playlist

J’ai eu très envie d’écrire ces derniers temps. Parce que je ressentais le besoin de me concentrer sur quelque chose qui me procure plaisir et excitation, et parce que lire chez les autres me faisait beaucoup de bien. J’avais envie d’écrire sur la musique sans parvenir à trouver de support. Je n’ai pas d’album à chroniquer, pas d’artiste écouté en boucle dont j’aurais envie de creuser l’histoire. J’écoute juste des mixes toute la journée.

La pratique est simple mais obéit à des exigences. Contrairement à un album, un mix dans mon cas ne s’écoute qu’une seule fois. L’écoute est toujours active, chaque morceau qui interpelle est fouillé, identifié, la vidéo est débusquée et enregistrée sur Youtube. L’existence d’une tracklist est donc impérative (la flemme sa race de shazamer quoique ce soit). Mais l’immense majorité des podcasts sur Soundcloud n’en fournit pas. Ça me rend dingue, me donne envie d’insulter tout le monde mais il faut faire avec. Les accès de qualité n’en sont que plus rares.

Quand le virage vers ce mode d’écoute a eu lieu, il y a presque deux ans, j’ai été assez fascinée par cette question du rapport au format, des usages qu’on en fait. J’avais envie d’interroger plein de gens sur leur utilisation de Youtube, de Soulseek, de Soundcloud, de Spotify… J’en suis resté à observer ma propre pratique et à garder ces conversations dans un cercle proche. L’envie d’écouter des albums resurgit parfois, quand je ressens le besoin d’une écoute plus diluée, moins aux aguets. Mais les playlists restent mon canal privilégié de découvertes et cela n’est pas sans effets. Il y a d’abord celui de ne s’intéresser que rarement aux albums d’où les titres proviennent. Cela suscite moins de recherche et d’intérêt pour l’histoire et la discographie d’un groupe. Le plus souvent, on en reste à l’amour du morceau lui-même. Est-ce que le rapport à la musique s’en trouve désincarné ? Dans les faits, je trouve que cela implique une nouvelle forme d’attachement.

De la même manière que l’on peut devenir fidèle à un DJ ou à un programmateur de radio, on s’attache dès lors aux passeurs. Aux personnes qui assemblent et publient les sélections. Des selectors de chambre qui mettent de la vie dans d’autres salons. C’est rare de découvrir la bonne personne, quelqu’un chez qui on reconnait des points d’accroches, des endroits où les goûts communiquent. Presque autant que dans la vraie vie. Beaucoup de rencontres chez moi, amicales ou amoureuses, sont marquées par la proximité musicale. La façon dont des sensibilités se touchent et se parlent peut porter une charge affective très forte. (Au point que, lorsque ça ne marche pas à tous les coups, on peut être déstabilisé. Découvrir chez quelqu’un une facette qu’on ne partage pas, qui ne renvoie pas la lumière de la même façon, peut provoquer un sentiment de trahison tout à fait disproportionné) (Mais je m’égare.)

J’ai envie de m’arrêter sur ces rencontres virtuelles, à sens unique, et sur l’identité et l’esthétique parfois très marquées qu’on peut percevoir chez quelqu’un qui fait des playlists sur son temps libre. Avec en exergue un exemple de morceau découvert par leur biais et jamais oublié.

– Starsky –

Retour en 2016. Les playlists Spotify de Starsky m’ont sortie de la misère. J’ai pu renouer avec tout un pan de la pop duquel je m’étais coupée pendant des années à n’écouter que de la musique électronique chelou. C’était une source d’eau claire pour une assoiffée. Pop 90’s, songwriting contemporain et indie-rock à sous-bassement mélancolique : la dominante rejoignait ce avec quoi je m’étais construite à l’adolescence. Ces découvertes ont été le pied à l’étrier d’une année, deux ans plus tard, passée à écouter exclusivement de la pop. Une rencontre musicale aussi régénérante qu’une soudaine amitié.

– Okonkole y Trompa –

Satoshi et PAM incarnent l’ethos du digger qui se voue aux pépites méconnues. Culture critiquée s’il en est, mais pratiquée ici avec beaucoup de générosité. Le blog est érudit, la chaine Youtube bien nourrie, et l’émission sur NTS ressemble au plus bel endroit d’internet. L’éclectisme bordel ! La puissance du tube inconnu ! Ils ne tombent jamais à côté. Synth-pop, street soul, reggae, funk, post-punk crève-coeur. Tout ce qu’il y a meilleur, agencé avec une classe absolue. Rien ne clashe. Ce qu’il y a d’obscur (et de lumineux) dans les années 80 s’y trouve magnifié. Les seules fois où je me suis vue considérer un mix comme un vrai chef-d’œuvre, c’était chez eux.

– Ban Ban Ton Ton –

C’est le dernier en date. Robert Harris entretient une passion pour les DJ d’Ibiza de la grande époque (1976-1988), un temps où pop, jazz, funk et disco se rencontraient de manière moelleuse entre deux couchers de soleil. Le blog de Harris est une mine d’or et ses playlists se divisent en rubriques : “Looking For The Balearic Beat”, pour la danse, et “Chocolate Milk and Brandy”, pour la douceur. Ces dernières sont mes préférées, elles sont comme un ruisseau qui coule sans perturbation. Il est finalement assez rare que je m’arrête pour retrouver un titre. C’est le meilleur objet pour une écoute un peu en retrait, sans la moindre anicroche, dans un esprit solaire tamisé, comme les rayons qui perdent en intensité sur une plage à 19h.

– hrv –

J’ai déjà parlé des playlists d’Hervé (ici), je revendique de façon suffisamment éhontée mon statut de fan n°1 pour ne pas m’étendre. Quand je parlais de petits endroits, très précis, où des sensibilités se rencontrent, je peux citer ici :
– l’indie-pop naïve mais à qui on ne la fait pas, qui te ravage en deux accords.
– la musique électronique répétitive, dont les beats hypnotisent et roulent des hanches.
– La mélancolie où qu’elle soit.
– John T. Gast.

– DJ Sundae –

La transition avec DJ Sundae est naturelle. Impossible d’aimer l’un sans aimer l’autre. Outre de réelles compilations (Sky Girl l’indétrônable), les sélections de DJ Sundae se retrouvent dans l’émission No Weapon Is Absolute qu’il partage avec Cosmo Vitelli. C’est la parfaite conjonction de musique électronique harmonieuse, de pop dépressive et de songwriting qui donne envie de s’allonger pour contempler l’espace en ressentant toutes les émotions du monde en même temps.

D’autres relations n’en sont qu’à leurs prémisses. Mais je me suis déjà pas mal entichée des anciennes émissions de Michael Kucyk, le patron d’Efficient Space, ainsi que de celles du duo Pender Street Steppers. Et je découvre à peine les playlists de So The Wind, parfois surprenantes, mais donc l’hétérogénéité et le nombre (+700) me ravissent.

Quant à savoir ce que je fais de tous ces morceaux accumulés, et bien vous vous en doutez, je fais des playlists.

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